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La nudité dans la Genèse

  • Photo du rédacteur: Philosophe chrétienne
    Philosophe chrétienne
  • 10 juin 2021
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 juin 2022

Quand Adam et Eve mangent du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, ils réalisent qu'ils sont nus et tentent de cacher leur nudité. Comment comprendre cet étrange passage ?



Un étrange passage :


Dieu prévient Adam et Eve que le jour où ils mangeront de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, ils mourront. Le texte nous précise également que l'homme et la femme étaient nus, mais n'en avaient pas honte. Eve et Adam mangent du fruit défendus, et alors... ils ne meurent pas, mais réalisent qu'ils sont nus et se confectionnent des ceintures de feuilles pour cacher cette nudité. Le soir venu, Dieu les cherche à travers le jardin d'Eden. L'homme avoue avoir eu peur parce qu'il est nu, et Dieu fait immédiatement le lien avec le fruit interdit.

Quand on relit cet enchaînement, il y a de quoi s'étonner ! Qu'est-ce donc que ce fruit qui fait prendre conscience qu'on est nu ? Et pourquoi en éprouver de la honte ? Que signifie la nudité ici : est-elle à prendre au sens littéral, ou bien joue-t-elle le rôle de symbole ?


Le premier décret de l'homme :


Dans cet article, j'ai expliqué que le mot "connaissance" - dans l'arbre de la connaissance du bien et du mal - a plusieurs significations en hébreu, dont celui de "décider de". Autrement dit, en mangeant de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, l'homme refuse de laisser Dieu décider en matière de morale ou de bonheur : il veut décider par lui-même de ce qui est bon ou mauvais pour lui (bien et mal, bon et mauvais, bonheur et malheur sont les trois traductions possibles).

Si on adopte ce sens du mot, le lien de cause à effet entre le fait de manger du fruit et le fait de considérer que la nudité est honteuse, apparaît plus clairement. L'homme vient de se rebeller contre la souveraineté divine, et il décrète que ce que Dieu avait déclaré "très bon", sera dorénavant "honteux, mauvais".


Le rapport faussé à notre corps :


Cette décision entraîne irrémédiablement toute l'humanité dans un rapport faussé au corps. Alors que les animaux n'éprouvent aucune honte de leur corps, les êtres humains sont "mal dans leur peau". Quels que soient les époques ou les lieux, toutes les cultures ont eu des pratiques de marquages corporels : toutes ont modifié, d'une façon ou d'une autre, leurs corps. Que ce soit par des piercings, des tatouages, du maquillages, des vêtements, des parures, des coiffures, des bijoux, tous les êtres humains tentent de se réapproprier leur corps.

Il y a deux explications possibles à ce fait, qui sont complémentaires :

- nous avons un rapport complexe à notre corps, qui est à la fois nous-même, et en même temps qui est comme un objet que nous possédons ;

- ce corps dans lequel nous sommes coincés nous est donné - imposé - à la naissance, et nous rappelle que nous avons été créé par un autre, que nous n'avons pas choisi, que nous ne sommes pas nos propres créateurs.


Le regard de l'autre :


La dernière interprétation est que la honte résulterait d'une prise de conscience du regard de l'autre. Il y a un texte de philosophie qui entre en écho avec cette idée, et qui est très connu, c'est le texte de la honte qui introduit la troisième partie de L'être et le néant de Sartre.


"Jai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j'ai découvert par la honte un aspect de mon être. [...] la honte dans sa structure première est honte devant quelqu'un. [...] j'ai honte de moi tel que j'apparais à autrui. Et, par l'apparition même d'autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c'est comme objet que j'apparais à autrui."

Ce que Sartre nous explique, c'est que le phénomène de la honte révèle que notre être est constitué en partie de comment les autres nous voient. Ce que Sartre appelle le "pour-autrui". Autrement dit, je suis tel que je m'apparais, tel que je suis pour-moi, mais je suis aussi tel que j'apparais à autrui, tel que je suis pour-autrui. Or, autrui porte sur moi un regard particulier : il me regarde comme un objet. En effet, autrui est pour lui-même un sujet, et je ne suis pour lui qu'un objet parmi d'autres dans son champ de vision. Pourquoi ? Parce qu'il n'a pas accès à ma conscience, à mes pensées : il n'a accès qu'à mon corps, l'extérieur de mon être. Le regard d'autrui me chosifie, me réifie (du latin res : chose). Sous le regard d'autrui, je suis nu, sans défense : il m'aliène, il me fait prisonnier, il me prive de ma liberté.

Nous cherchons constamment à échapper à ce regard chosifiant, et dérober notre corps aux yeux des autres, en le cachant, fait partie de cette lutte contre le regard d'autrui.

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